Touche pas à ma poubelle! ou l’impossible recherche d’économies
Depuis la publication des derniers comptes de l’Etat de Vaud, l’obligation constitutionnelle d’équilibrer les comptes force la main publique à la modération. Mais force est de constater que les mesures proposées suscitent incompréhension, voire irritation. Rembobinons le film.
Le 10 avril dernier, ce qu’on pressentait depuis quelques mois devient évident: les comptes vaudois présentent un déficit de 369,2 millions de francs. Après des comptes bénéficiaires de 2005 à 2022, année qui affiche encore un résultat positif de 414 millions, le résultat 2023 fait état d’un déficit de 39 millions. Le discours officiel nous rassure en parlant alors de «situation sérieuse mais maîtrisée». En deux ans, le trou creusé représente pourtant 783 millions de francs!
L’impératif d’économies
Cette plongée dans les abysses financiers a deux conséquences principales: tout d’abord, les comptes 2024, pour 94 millions de francs, ne respectent pas le cadre légal prévu appelé petit équilibre, c’est-à-dire la couverture des charges par les recettes avant amortissement des éléments du patrimoine administratif de l’Etat (art. 165 de la Constitution vaudoise). Cela implique que des mesures d’assainissement soient prises immédiatement pour un montant équivalent de 94 millions de francs. Mais cela implique aussi que le budget 2026 – dont on rappelle qu’il est une autorisation de dépenser – respecte également ce petit équilibre et contribue à l’assainissement financier. Dès lors, deux voies s’ouvrent: augmenter les impôts, ce qui, dans un Canton qui caracole déjà dans le peloton de tête des charges fiscales, semble délicat et peu susceptible de trouver une majorité populaire, ou prendre la voie de la modération, qui passe par la recherche d’économies.
Toutefois, la voie est ardue et la démarche ressemble rapidement à une valse-hésitation. Chaque annonce de mesure est presque immédiatement suivie par un cortège de récriminations qui visent à faire abandonner l’opération. Et le courage des députés ou parlementaires fera le reste.
Des obstacles multiples
La résistance aux économies tient à de multiples facteurs.
Tout d’abord, notre Canton n’a pas la culture de la modération. Au contraire, son perfectionnisme administratif favorise l’inflation normative et son corollaire, un nombre toujours accru de fonctionnaires. Les dossiers climatiques et énergétiques sont particulièrement gourmands en procédure, mais l’ensemble de l’activité administrative cantonale souffre de cette boulimie réglementaire. Si une certaine autonomie communale semble encore de façade, rares sont les dossiers dans lesquels les services cantonaux n’ont pas leur mot à dire. Par exemple, la compétence cantonale en matière d’aménagement du territoire devrait être limitée au contrôle de la légalité, mais l’Etat vient de plus en plus se prononcer en opportunité, avec pour conséquences des allers-retours entre administrations et un allongement désagréable des délais.
Ensuite, le refus d’économiser est alimenté par le sentiment profond que tout crédit ou toute allocation de ressources est un droit acquis et ne peut aller que dans un sens, celui de l’augmentation. «Toujours plus mais jamais moins» semble être la règle au point que même le statu quo peut apparaître comme une régression. Cela se manifeste dans le niveau des salaires de la fonction publique comparé à celui du privé ou dans les avantages annexes, caisse de pension notamment.
Le recours à l’Etat
Le rapport du citoyen à l’Etat doit aussi être questionné. Sous l’influence de notre voisin français, le recours à la main publique pour corriger chaque dysfonctionnement réel ou supposé de la société ainsi que la recherche d’une égalité absolue sont exigés. Les forces de gauche poussent à la roue, tout comme une certaine vision de l’Etat radical. On y ajoutera la politique de certains partis, qui fait du clientélisme un mode de gouverner. En outre, l’individualisme croissant, la défense acharnée de ce qu’un individu, une association ou un groupe d’intérêt considèrent comme un dû, ainsi que la constante recherche d’avantages contribuent à l’obésité de la main publique, soucieuse de répondre aux «besoins» de ses administrés et inquiète de leur déplaire.
Enfin, on doit reconnaître que la réponse de certains départements vaudois à l’exigence de modération tient plus de la provocation que d’une réelle et responsable balance d’intérêts. Si politiquement il peut être avantageux de «charger la barque» et de proposer des mesures dont on sait qu’elles susciteront une levée de boucliers, cela n’est pas ce qu’on est en droit d’attendre de l’autorité. Les coupes envisagées dans le secteur de la santé, ciblant les régions périphériques alors que plus d’une centaine de millions sont versés au CHUV au titre de Prestation implicite générale, sans connaître leur destination, en sont un bon exemple.
La reprise en mains des finances publiques s’annonce dès lors difficile. Un examen sans concession des tâches confiées à l’Etat et la recherche de l’efficacité devraient y contribuer. On se rappellera aussi que, dans les temps difficiles économiquement, la règle qui exige de n’allouer les crédits que s’ils sont urgents ou indispensables est un garde-fou précieux.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Emballements sans distance – Editorial, Félicien Monnier
- Des héros pour une commune – Benjamin Ansermet
- Débat biaisé sur la facilitation du droit de vote des étrangers – Rédaction
- Schubertiade – Jean-Blaise Rochat
- La cinquième Feuille de Chêne – Yves Gerhard
- Le Théâtre du Jorat rajeunit – Jean-François Cavin
- Rédacteurs en chefs – Félicien Monnier
- † Jean-François Deppierraz – Olivier Delacrétaz
- La vie intérieure, pour quoi faire? – Jacques Perrin
- Gardons un quorum à 5%! – Quentin Monnerat
- Bestiaire élémentaire – Le Coin du Ronchon
