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La laïcité, le christianisme et l’islam à l’épreuve les uns des autres

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1738 6 août 2004
Le Figaro a révélé l’existence et le contenu d’un rapport de l’inspection générale de l’Education nationale française sur «Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires». Cent quartiers dits sensibles ont été étudiés dans tout le pays: ségrégation à l’égard des Français et des chrétiens dans certains quartiers, mixité des écoles remise en cause, exigences croissantes en matière de vestiaires scolaires séparés pour les élèves musulmans, obligation de fait pour certains enfants français de se plier aux usages musulmans, invasion de l’enseignement à tous les niveaux par des prosélytes, contestation systématique de l’enseignement de l’histoire et des sciences pour des motifs religieux. Cela signifie que les musulmans et leurs représentants se sentent assez forts pour exiger d’être reconnus non comme des hôtes, mais comme une partie constitutive de la France du point de vue des mœurs et des coutumes. Ils ne veulent plus s’intégrer, mais s’imposer.

Un Etat laïc tel que se proclame l’Etat français considère que la religion est une affaire privée. Il autorise certaines manifestations publiques, et, à l’école, le port de signes «non ostensibles» d’appartenance religieuse. Il prend des mesures à l’égard des religieux «intégristes» qui en font trop. Par exemple, il expulse les imams trop remuants. Il punit aussi, en vertu de la loi Gayssot, les ecclésiastiques qui affirment, textes en main, que c’est l’islam comme tel qui est dangereux, et pas seulement l’islamisme. En un mot, l’Etat laïc aborde la question religieuse du point de vue principal de l’ordre public, et secondairement du point de vue de la lutte contre l’incitation à la haine religieuse. Est-ce encore possible aujourd’hui? Le rapport du ministère en fait douter.

Il semble en tout cas que la relative neutralité de l’Etat ne porte guère ses fruits. Les heurts se succèdent. Ils suscitent des titres énormes et quelquefois hâtifs dans la presse. Les groupes de pression idéologiques ou religieux en profitent pour multiplier les communiqués. Le gouvernement se dépêche de dire des choses très morales et très tendance, de faire savoir son «effroi» et d’annoncer un redoublement de fermeté face aux dérives. Cela ne fait pas reculer les excités de toutes tendances. Si l’on en croit le rapport - je ne parle pas seulement des faits qu’il mentionne, mais aussi du ton des auteurs - et si l’évolution se poursuit, la France risque de connaître des soubresauts pénibles ces prochains temps. Sur le plan religieux, sans aller jusqu’à une islamisation pure et simple de la France, on doit s’attendre à une situation de morcellement communautariste du territoire: un certain nombre de quartiers et de villages vont tomber sous régie musulmane, tandis que d’autres resteront plutôt laïcs et d’autres plutôt chrétiens: la France est en train de devenir, selon la formule de Pierre Debray, «un terrain vague où camperont cent peuples divers». M. Chirac a déjà pris les dispositions électorales d’urgence en évoquant les racines chrétiennes et musulmanes de la France.

Mais il se pourrait aussi que l’Etat laïc, retrouvant son énergie antireligieuse d’il y a deux siècles, durcisse le ton face à toutes les religions, et se mette à poursuivre non seulement les fanatiques au nom de l’ordre public, mais aussi les simples pratiquants au nom de la laïcité, à interdire toute manifestation religieuse de masse, à édicter des règles de comportement laïques, à imposer un uniforme laïc aux enfants des écoles. Car la laïcité est, au fond, une religion. Son dieu est le peuple, et sa déesse, la raison, son Credo, les Droits de l’homme, ses Ecritures, la loi civile, son paradis, la démocratie égalitaire. Elle a ses pratiquants, ses dévots et ses cagots. Le clergé, ce sont les partis. Le croyant, c’est l’électeur, qui prie en votant.

La religion laïque ne s’attaquerait pas seulement à l’islam, mais aussi au christianisme. Le problème particulier du christianisme est qu’il a pris l’habitude, surtout par ses autorités, d’entériner les points de vue de la laïcité, notamment en morale et en politique. A vrai dire, c’est aujourd’hui une idée entièrement reçue que la démocratie et le christianisme vont de pair. On a oublié que la Révolution française s’est faite au moins autant contre la religion catholique que contre la monarchie. Quand le pape Jean-Paul II a déclaré le 25 mars 1995, dans son Encyclique Evangelium vitae, qu’il fallait choisir Dieu et l’Eglise plutôt que la démocratie en cas de conflit, la violence des réactions qu’il a suscitées, en particulier dans l’Eglise, a montré à quel point les esprits n’étaient pas disposés à envisager la possibilité d’un tel conflit.

Le conflit n’en menace pas moins. Il se jouera entre une religion laïque qui détient toutes les armes du pouvoir et a pour elle le poids des idées reçues, un islam plein de la force et de la simplicité militante de la jeunesse, et un christianisme avachi qui finira peut-être par constater que l’Europe n’est plus la chrétienté, mais une terre de mission où tout reste à faire.

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